La résistance, texte de Wejdan Nassif

La résistance texte de Wejdan
Bonsoir
En 1987, j’ai été arrêté à cause de mon appartenance à une organisation de gauche qui demandait des libertés et la démocratie. C’était l’époque d’ Assad père. Je suis restée en prison pendant quatre ans et demi.
En Juin 2011, j’ai fondé avec un groupe de femmes un rassemblement « Les femmes Syriennes pour le soutien du soulèvement syrien". Notre travail a consisté à appuyer la révolution médiatiquement, socialement, médicalement et en organisant les secours. Nous avons persisté jusqu’à ce que notre travail devienne impossible. C’était au mois de mai 2014.
En Mars 2012, j’ai commencé à écrire, de façon régulière, presque hebdomadaire, des lettres qui étaient publiées en français sur le blog "œil sur la Syrie" du journal Le Monde. Ces lettres portaient la signature, de "Joumana Maarouf", mon pseudonyme. J’en ai écrit 150 en deux ans, et ces lettres ont été publiées plus tard dans un livre intitulé "Lettres de Syrie."
Je l’ai fait parce que je ne pouvais pas faire autre chose. Tout simplement, je n’avais pas beaucoup de choix ! Et si ce que je faisais s’appelle « acte de « résistance », permettez-moi alors de recommencer dès le début. Je voudrais vous redire mon histoire et vous la raconter dans le contexte de l’histoire de la Résistance, avec un R (en → supprimer) majuscule, celle du grand peuple syrien.
Dans les années quatre vingt dix, nous sommes sortis de la prison, comme nous y étions rentrés : par une décision de Hafez al-Assad, Président de la République à l’époque et père de l’actuel président. Nous y avons été torturés et humiliés.
Nous avons été détenus de façon arbitraire : nous ne sommes pas passés devant un tribunal et nous n’avons pas été jugés. Nous ne savions pas de quoi on nous accusait ni combien de temps nous serions en prison. Nous avons été libérés par Sa décision personnelle après des années.
Nous n’avons pas eu la chance de raconter notre histoire ni même l’évaluer. Personne ne m’a jamais rien demandé de cette histoire, même pas en chuchotant. Parce que, dans le royaume du lion (Assad en arabe), « les murs ont des oreilles ». Celui qui écouterait serait considéré comme participant au crime et serait voué à l’emprisonnement et à la torture.
C’est pour ça que la Syrie restera muette pendant des dizaines d’années. La dictature des Assad a broyé tous les opposants islamistes, de gauches, et nationalistes. Nous avons tous été anéantis. La Syrie a été vaincue face à la tyrannie de la famille Assad et son régime qui usurpe le pouvoir depuis quarante-six ans.
Mais avec le début de la grande révolution syrienne en Mars 2011, il est devenu possible pour nous de parler de nos expériences et les Syriens ont évoqué leurs souvenirs remplis de douleur. Ils ont partagé leurs expériences et échangé des histoires comme ils partagent la nourriture et les soirées entre amis. Les femmes syriennes se sont engagées dans la révolution dès le premier jour avec un élan remarquable. Nous avons travaillé, moi et mon groupe, au soutien des manifestations pacifiques et pour la transmission des faits de la révolution. Très vite ensuite, nous avons commencé à travailler pour sécuriser le transport des blessés et les premiers soins et secours aux manifestants qui tombaient chaque jour, par dizaines.
Notre travail à consisté par la suite à créer des passerelles entre les zones rebelles des banlieues de Damas et à supporter la jeunesse révolutionnaire par tous les moyens. Mais avec l’intensification de la violence, il est devenu difficile de contrôler les réactions et la propagation des armes et le radicalisme. Très vite, la Révolution s’est transformée en un conflit armé et violent dès le début de 2012.
Le rôle des femmes a reculé et la voix des manifestants pacifiques a baissé en intensité, alors que les prisons se sont remplies. La plupart des morts ont été enterrés dans des fosses communes sans témoins, sans adresse et sans
Aussitôt ensuite, les zones rebelles ont été complètement fermées et en état de siège. Nous avons continué à travailler jusqu’en 2014. Nous transmettions les noms et l’histoire des martyrs et des détenus. Nous soutenions leurs familles, nous nous occupions de l’éducation de leurs enfants et nous aidions à la création de petites entreprises pour leurs épouses. Mais avec l’aggravation de la tragédie, les ressources sont devenues plus rares et des milliers de personnes déplacées ont afflué : nous avons alors commencé à faire un travail de secours et d’assistance.
Ce travail est vite devenu très dangereux. Des milliers de femmes ont été arrêtées pour la seule raison qu’elles tentaient de faire rentrer un paquet de pain ou des médicaments dans les zones assiégées. Certaines d’entre elles sont mortes sous la torture, d’autres sont portées disparues jusqu’à ce jour.
Aujourd’hui, nous marchons sur la corde raide entre la folie et l’extrémisme, de peur de tomber dans l’une des deux options en l’absence d’autres choix et d’un horizon totalement obstrué. De temps à autre, nous tenons nos têtes entre nos mains de peur que notre esprit ne s’éloigne et s’en aille.
Les choses deviennent encore plus difficiles que ce que peut supporter l’esprit humain.
Cela fait des années que nous sommes coincés dans le bourbier de cette réalité et nous sommes même incapables de reprendre notre souffle afin de penser à la façon de nous en sortir.
Les ennemis de notre liberté sont en croissance constante. Ce n’est plus seulement Assad qui menace l’avenir de notre pays, mais il y a maintenant Daesh, l’extrémisme, la prolifération des armes, les marchands d’armes et les bellicistes, les intérêts des grands pays.
mais le pire ennemi est surtout et avant tout le fait de vouloir vider le pays de ses meilleurs éléments, le plus beaux et le meilleur de sa jeunesse, sa seule richesse.
Avec chaque jour qui passe, chaque civil tué, chaque maison démolie et chaque groupe de personnes qui fuit la mort, notre espoir de voir notre nouveau pays libre, uni, digne et indépendant diminue. Nos espoirs de célébrer le fruit des sacrifices de centaines de milliers de nos résistants s’amenuise progressivement.
Depuis cinq ans nous allons d’une catastrophe à l’autre et d’un massacre à l’autre. Nos souvenirs se confondent et se déforment à chaque image d’un corps déformé d’un syrien exposé dans les médias. Nous nous réveillons avec la perspective d’une nouvelle tuerie organisée par de nouveaux assassins. Tous les jours, nous sommes sidérés par la négligence, l’inaction et l’absence de volonté de ce monde pour arrêter l’effusion de notre sang.
Peut-être, Nous sommes une exception parce que nous n’avons pas eu l’occasion de reprendre notre souffle. On ne nous a pas permis de regarder derrière nous. Nous n’avons pas eu le temps de fermer nos blessures, ni d’enterrer nos chers disparus et leur dire au revoir. On ne nous a pas laissé une chance de pleurer sans compter nos pertes et de vivre notre triste deuil. Nous n’avons pas pu évaluer notre expérience. Nous ne pouvons toujours pas tourner la page et en commencer une nouvelle.
Le sang continue toujours de couler. Le premier et le plus grand tueur est toujours là dans son palais, protégé par tous ses amis et les ennemis de la libération des peuples. Ils, lui et eux, tous, font tout leur possible, avec beaucoup d’efforts et par tous les moyens, pour ébranler notre foi dans les valeurs humaines, la justice et la communauté internationales.
C’est parce que, pour les Syriens, la résistance est leur destin naturel plus qu’une option choisie, que nous allons continuer et donner en héritage notre rêve de liberté, de dignité et de justice humaine à nos enfants de génération en génération. Peut être qu’un jour, ils célébreront notre résistance et écriront nos histoires (notre histoire ?) avec fierté dans le cours de l’histoire de la résistance à tous les peuples de la terre.
Je vous remercie.

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